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Invoqué dans les médias, rétorqué entre femmes et hommes politiques, de quoi parle-t-on lorsqu’on mobilise le terme de populisme ? Grâce à ses nombreuses données récoltées, le projet TrUMPo apporte un éclairage sur l’utilisation des mots populisme, populismes, populiste, populistes (c’est ce que regroupe «populis* ») dans la presse en France en 2019.
Quand, comment et pourquoi les journalistes et leurs invité⸱e⸱s utilisent le terme populis* dans la presse ? Pour répondre à ces questions, nous avons sélectionné 538 occurrences de quatre sources de presse nationale : un quotidien de référence (Le Monde), l’organe de l’État (France Info), un quotidien populaire (Le Parisien) et un gratuit (20 Minutes).
Nous passerons en revue l’utilisation de populis* mois après mois ainsi que leurs locuteurs⸱rices, les sens et les usages donnés au terme, les champs conceptuels qui y sont associés ainsi que les cibles qu’il vise. Il faut préciser avant de découvrir ces résultats qu’il s’agit d’une analyse brute : elle ne prend pas en compte le nombre et la longueur de chaque intervention.
L’utilisation de populis* par mois :
Parmi notre échantillon, nous identifions un pic d’utilisation en mai, et en particulier autour de la date du 27 mai. La journée du 27 mai coïncide avec les résultats de l’élection européenne de 2019. Le mois suivant qui connaît le plus d’occurrences en 2019 est janvier. Les thèmes abordés en janvier sont plus diffus, et les occurrences correspondent à des évènements sans rapport entre eux. On peut néanmoins mentionner l’actualité du grand débat national et des gilets jaunes.
Qui utilise populis* ?
L’utilisation du terme populis* provient majoritairement des journalistes ou des agences elles-mêmes (348/538). Ce sont ensuite les personnages politiques (74) et les expert⸱e⸱s (63) que l’on retrouve le plus, et, dans une bien moindre mesure, des personnalités non politiques (24) et des chroniqueurs⸱euses (3). Nous avons restitué dans le tableau ci-dessous les 17 locuteurs⸱rices les plus représenté⸱e⸱s à partir de 4 utilisations ou plus de populis*, (nous avons retiré du compte les locuteurs⸱rices non identifié⸱e⸱s) :
L’organe de presse AFP figure en premier, ainsi que les deux journalistes Jannick Alimi (service politique du Parisien) et Alexandre Sulzer (journaliste pour Le Parisien également). Jannick Alimi ciblait principalement Jean-Luc Mélenchon (5/13), Alexandre Sulzer visait plus le RN (5/13). Pour ce dernier, cela peut s’expliquer par sa spécialisation (donc de nombreux articles) sur le sujet de la droite et de l’extrême droite.
D’après ce tableau, certain⸱e⸱s journalistes du Parisien semblent très friand⸱e⸱s de populis*, de même que ceux du Monde ; on voit en revanche moins France Info, et 20 Minutes est absent. Pour 20 Minutes, cela peut s’expliquer par leur faible part dans cet échantillon (il y a 42 occurrences de 20 Minutes parmi les 538 sélectionnées). Les autres titres de presse comportent un nombre d’occurrences proche : 143 pour Le Parisien, 156 pour France Info, 198 pour Le Monde. On peut donc en conclure que pour Le Parisien, une poignée de journalistes utilise beaucoup populis*, tandis qu’à France Info et Le Monde, les locuteurs⸱rices sont plus nombreux⸱ses et l’utilisent rarement à plusieurs reprises.
Les premières personnalités politiques du classement d’utilisation sont François Hollande (ancien président de la république, PS) et Nathalie Loiseau (eurodéputée LREM). Lorsque les locuteurs⸱rices étaient des personnages politiques (74) et que nous sommes parvenus à identifier leur parti d’appartenance, nous avons remarqué, comme pour nos analyses des données parlementaires de la France en 2019, que les partis les plus représentés sont LREM (13 occurrences) et le PS (12). Le détail de la répartition par parti est présenté dans le tableau ci-dessous (les noms utilisés sont ceux de 2019) :
Le sens de populis* :
Presque la totalité des utilisations ont un sens évident, ne questionnant ni ne définissant la signification du terme populis*. Il n’y a en fait que 20 cas sur 538 où le mot populis* est développé, débattu. À parts égales, ce sens est alors explicité par des journalistes ou des expert⸱e⸱s.
Exemple d’un cas expliqué : « Comme universitaires, nous croyons à la parole et au discours pour faire face à cette montée du populisme. Quand je parle de POPULISME[1], j'évoque le fait de simplifier à outrance des phénomènes complexes. » Martine Benoit pour 20 Minutes (19/11/2019).
Près de la moitié (227/538) des utilisations du terme populis* est autoréférentielle, ce qui signifie que le mot est utilisé en tant qu’objet du discours : il ne vise ni quelqu’un, ni quelque chose en particulier.
Exemple d’utilisation auto-référentielle : « Verra-t-on le PCF voter la sortie du nucléaire et le renforcement de l'Europe ? Le PS voter demain contre les aberrations économiques qu’il a toutes votées et appliquées et qui ont fait le lit des POPULISMES ? Il n’y a "plus d'excuse", en effet, pour l'électorat écologiste et proeuropéen, et aucun intérêt à élire des députés européens qui ne défendront ni l’Europe ni l'écologie. » Tribune d’Alain Lipietz, élu local EELV, pour Le Monde (02/04/2019).
En dehors de ces usages, populis* désigne une personne ou un groupe (217), une entité collective (44), ou enfin, une action ou un évènement (40).
Exemple à visée d’une personne : « Après les législatives en Tunisie : le risque d'un parlement émietté et d'un pays ingouvernable. Le parti islamiste Ennahdha et celui du candidat POPULISTE Kabil Karoui, actuellement en prison, ont chacun revendiqué la victoire aux législatives du 6 octobre 2019. » AFP, cité par FranceInfo (7/10/2019).
Exemple à visée d’une entité collective : « Ce scrutin, marqué par une abstention record (45,5%), confirme que le Portugal est l'un des rares pays d’Europe où les socialistes ont le vent en poupe et où la droite POPULISTE est absente du paysage politique » AFP, cité dans 20 Minutes (6/10/2019).
Exemple à visée d’une action : « Le Premier ministre hongrois se démarque régulièrement par des dérapages POPULISTES contre Bruxelles. » Alexandre Sulzer pour Le Parisien (20/03/2019).
La grande majorité des utilisations de populis* revêtent un caractère négatif : 334/538. Les cas neutres sont au nombre de 21/538 et il n’y a aucun cas à connotation uniquement positive.
Exemple d’utilisation à connotation négative : « Mais aujourd’hui, ce n’est pas seulement cette communauté qui est visée : le sont aussi les églises, les mosquées, la presse… Il faut nous unir tous. Avec le POPULISME, le terrorisme, c’est une montée de violence que l’on ressent un peu partout qui est inquiétante. » Albert Guigui pour Le Parisien (10/01/2019).
Exemple d’utilisation neutre : « Service minimum pour Jair Bolsonaro, qui a pourtant choisi Davos comme premier déplacement sur la scène internationale. Son objectif est d'apporter la preuve que le POPULISME peut faire bon ménage avec le libre-échange. » Noémie Bonnin & Isabelle Chaillou (journalistes) pour FranceInfo (22/01/2019).
Nous avons aussi recensé sept cas ambivalents, et trois cas positifs ironiques.
Exemple d’utilisation positif-ironique : « Quatre leçons pour faire carrière dans le populisme et obtenir des résultats électoraux rapides. Vous voulez faire carrière dans le POPULISME, c’est-à-dire prétendre vous adresser directement au peuple, dans ce qui serait censément son langage, en flattant son soi-disant bon sens ? » Frédéric Joignot pour Le Monde (02/02/2019).
Exemple d’usage ambivalent : « Le POPULISME m’inspire et m'inquiète » Jacques Mailhot (chansonnier) pour FranceInfo (02/01/2019).
Il faut noter que pour 173 cas, nous ne sommes pas parvenus à identifier la tonalité parmi les précédentes catégories. Cela est à rapprocher de deux autres résultats : 163 cas n’ont pas pu être affectés à un champ conceptuel et 260 occurrences sont descriptives. Dans notre corpus de presse, populis* a été utilisé plusieurs fois par les journalistes pour qualifier des personnes, des groupes de façon très descriptive, sans plus de commentaires. Cela explique qu’un nombre important d’occurrences n’ont pu être codées selon leur tonalité.
Dans cet exemple populis* est codé comme descriptif et n’est associé à aucune tonalité ni aucun champ conceptuel : « La problématique migratoire, centrale lors des élections de 2015, n'a guère été débattue, mais l'UDC (Union démocratique du centre – droite POPULISTE), parti anti-immigration, devrait rester la première force politique du pays. » 20 Minutes avec AFP (20/20/2019).
Les champs conceptuels :
Nous nous sommes intéressés aux champs conceptuels associés aux usages de populis*. Dans plusieurs cas, plus d’un champ conceptuel était associé, mais nous avons établi le tableau de synthèse ci-dessous qui restitue le nombre de fois qu’un des champs a été identifié :
Le champ nationaliste est donc le plus présent (171). Se tiennent ensuite sur le podium les champs extrémiste (64), démagogique (59), et anti-élite (48). Moins représentés sont le côté populaire (4), fondé sur le peuple (14), tradition (23) et autocratique (25). Pour 163 cas, nous ne sommes pas parvenus à associer l’un de nos champs conceptuels, cela pouvant s’expliquer par ce que nous avancions plus haut : beaucoup d’emplois du mot par les journalistes sont très descriptifs.
La fonction associée à l’utilisation de populis* :
Lorsque populis* a été utilisé, cela a été presque une fois sur deux pour faire une description (261/538). La fonction la plus revêtue est ensuite l’émission d’une préoccupation (141), suivie de la critique d’une personne ou d’un groupe (77) et la critique d’une action (37).
Exemple d’utilisation à des fins de description : « Andrej Babis, la cinquième fortune du pays selon Forbes, dirige le mouvement POPULISTE centriste ANO dans un gouvernement de coalition minoritaire avec les sociaux-démocrates, appuyé au Parlement par le parti communiste. » 20 Minutes (16/11/2019).
Exemple d’expression d’une préoccupation : « Avec le POPULISME, le terrorisme, c’est une montée de violence que l’on ressent un peu partout qui est inquiétante. » Albert Guigui, interview dans Le Parisien (10/01/2019).
Exemple de critique d’un acte isolé : « L'exécutif invoque une question de justice sociale… C’est l’argument le plus indigne qui soit, le plus POPULISTE. Invoquer la justice sociale pour justifier d'un argument qui n’est qu’un argument économique, injustifié sur le plan scientifique, sur le plan de l'expérience, je trouve cela particulièrement indigne. » François Hommeril pour France Info (19/06/2019).
Les journalistes ou agences sont les locuteurs⸱rices les plus important⸱e⸱s en nombre de ce corpus, et cela se remarque par leur emploi de populis* à des fins de description, où ces derniers représentent presque la totalité des occurrences (227/261). C’est moins le cas lorsqu’il s’agit d’une critique (d’un acte ou d’une personne confondus), mais cette catégorie de locuteurs⸱rices reste toutefois majoritaire en représentant 53/114 occurrences. Les personnages politiques arrivent en seconde position lorsqu’il s’agit d’émettre des préoccupations (32/141) ou des critiques (32/77). Les expert⸱e⸱s sont le plus représenté⸱e⸱s, après les personnages politiques et les journalistes, dans la fonction de préoccupation (25/141) et sont deuxièmes pour la description (22/261).
Plus rarement, populis* a été utilisé à des fins d’auto-légitimation (7), de légitimation par opposition (6) ou de dénégation (3).
Exemple d’utilisation pour une auto-légitimation : « Relancé par la journaliste, Damien Lempereur réplique, à propos du président français : "Il passe son temps à insulter ses voisins. Il traite les Italiens de POPULISTES alors que Salvini est à 70% de popularité." » Damien Lempereur pour France Info (12/03/2019).
Exemple d’utilisation pour une légitimation par opposition : « "Sur le terrain, justement, à travers mes différents engagements associatifs, j’ai souvent pu voir la présence de femmes et d’hommes communistes et j'ai pu voir les valeurs qui les animaient : des valeurs populaires, jamais POPULISTES. […]" » Josiane Balasko pour Le Parisien (09/05/2019).
Exemple de dénégation : « "Tous ceux qui sortent du système, on les traite de populistes. Pour être populiste, il faut un programme populiste. À ce jour, je n’ai annoncé aucun programme, je ne suis pas POPULISTE", rétorque l’intéressé. » Nabil Karoui sur France Info (15/07/2019).
La cible du mot populis* :
Nous avons pu identifier la cible de l’usage populis* dans 209 cas sur 538 (les autres occurrences étant trop ambiguës par rapport à une éventuelle cible visée). Pour l’essentiel, ces cibles étaient des personnes ou partis politiques (180/209). Si les noms et partis des cibles étaient très variés, nous avons présenté dans les tableaux suivants les personnes et groupes les plus visées (plus de 4 occurrences), pour enfin restituer les 10 cibles principales des mots populis* :
LREM et Emmanuel Macron sont les plus clairement visés par les mots populis* (30/180). Suivent la Ligue de Matteo Salvini, le RN avec Marine Le Pen et Marion Maréchal-Le Pen, Donald Trump aux États-Unis, ainsi que LFI et Jean-Luc Mélenchon.
Pour conclure :
Ces analyses de l’utilisation du terme populis* nous offrent une vision générale de son usage au sein de la presse française en 2019. On peut en retenir que les journalistes sont les principaux⸱ales utilisateurs⸱rices de populis*, devant les femmes et hommes politiques, ou les expert⸱e⸱s. Populis* est utilisé presque toujours de façon autoréférentielle ou pour désigner une personne ou un groupe. Son sens semble être évident pour les locuteurs⸱rices, et surtout négatif. Le champ conceptuel qui y est le plus associé est le nationalisme. Suivent les champs extrémistes, démagogique et anti-élite, tandis que les côtés populaire, traditionnel ou autocratique sont bien moins représentés. L’usage qui est fait de populis* dans la presse française reflète avant tout une description (pour la moitié des cas), une préoccupation ou la critique d’une personne ou d’une action. L’expression n’est quasiment jamais utilisée à des fins de dénégation ou de légitimation. Enfin, lorsque la cible de populis* est un groupe ou un personnage politique, il s’agit surtout d’Emmanuel Macron, Matteo Salvini, Marine le Pen et le RN, Donald Trump, et, en cinquième place, Jean-Luc Mélenchon. Bien sûr, comme ces résultats proviennent d’analyses brutes et qu’elles proviennent d’une sélection d’articles, il convient de rappeler qu’elles ne prennent pas en compte le nombre et la longueur des interventions de chaque personne ou groupe.
[1] Nous soulignons dans tous nos exemples l’occurrence de populis* concernée : cette mise en évidence n’est pas le fait des auteurs⸱rices/locuteurs⸱rices.
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