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Comment les personnalités politiques parlent-elles du populisme sur les réseaux sociaux ?

Dernière mise à jour : 18 déc. 2023

Le populisme en tant que phénomène politique a été amplement étudié au cours des dernières décennies par des chercheuses et chercheurs de divers domaines, tels que la science politique, les études en communication et l'analyse du discours. Le terme populisme est utilisé depuis longtemps dans la littérature académique pour décrire des contextes très divers et pour parler d’un éventail de partis politiques de gauche comme de droite. Bien qu’il existe d’importantes recherches sur le populisme en tant que phénomène politique et sur le discours populiste, la recherche sur le terme lui-même, c’est-à-dire sur les sens donnés au terme et sur son usage dans les discours actuels, est encore en développement.


Dans le discours public contemporain les mots populisme et populiste sont largement utilisés par le grand public, les journalistes et les personnalités politiques elles-mêmes. En utilisant un mot dont la définition n'est pas claire ni univoque, il est possible de faire référence à des réalités très diverses en évoquant "le danger du populisme", "les discours populistes" ou "les partis populists". Quels sont les sens associés aux différents usages de populisme et populiste ? Pourquoi ces mots sont-ils si largement utilisés?


Dans mon article paru récemment dans Journal of Language and Politics (DOI:  https://doi.org/10.1075/jlp.23042.shc)[1] j’analyse la communication politique numérique qui contient les termes populisme(s) et populiste(s) sur les comptes Twitter (maintenant X) des cinq principaux partis politiques en Espagne. L’analyse se concentre sur les usages, les significations et les fonctions pragmatiques et discursives des termes (c'est-à-dire, l'action et l'effet realisés à travers l'usage de terme en question) dans les tweets publiés par ces partis couvrant tout le spectre politique, dans un contexte où des partis politiques aux idéologies opposées (de gauche et de droite) peuvent être qualifiés de populistes. La période étudiée comprend les deux derniers mois de 2019, caractérisés par une campagne électorale et la formation d’un gouvernement de coalition de gauche. L’objectif principal de cet article est de comprendre les discours sur le populisme. Pour atteindre cet objectif, j’examine dans quels buts les termes populisme(s) et populiste(s) – que nous notons populis* – sont utilisés dans un corpus de tweets de leaders et de partis, et ce qu’ils permettent de faire dans le discours.


Les données montrent que populis* est présent dans les tweets des cinq partis, mais avec des fréquences différentes et avec des usages et des significations différent.e.s. Par exemple, Ciudadanos (centre-droit) est le parti qui utilise le plus le terme ; en outre, les tweets de ce parti montrent une nette préférence pour l’utilisation du nom pluriel populistes. En revanche, Unidas Podemos (gauche à extrême gauche) et Vox (extrême-droite), les partis classifiés comme populistes dans la littérature et les médias, n’utilisent presque pas populis* dans leurs tweets fin 2019. Concernant les fonctions dans le discours, populis* est utilisé d’une part pour attaquer, disqualifier et délégitimer un adversaire, et d’autre part pour donner une représentation légitime de son propre parti et donc utilisé comme outil d’auto-promotion.


Voyons un exemple de nos données qui illustre l’usage du substantif pluriel populistes.



Dans ce tweet publié sur le compte officiel du parti Ciudadanos (Cs), on trouve une référence aux populistes, faite par le leader de Cs à ce moment-là, lors d’un débat au Congrès des Députés.


« @Albert_Rivera a déjà prévenu : Sánchez a un plan et ce plan est avec une bande de populistes et de nationalistes. Il cherche à se pérenniser au pouvoir en contrôlant la télévision publique, en criminalisant les constitutionnalistes et en nettoyant l’image de ses partenaires. » (@CidadanosCs, 31/12/2019)


Cet exemple, qui montre un emploi du terme par le parti qui a le plus mentionné populis* dans ses tweets, illustre un usage fréquent, étant donné que 75% des occurrences de populis* dans les tweets de Ciudadanos correspondent au substantif pluriel populistes.


Cet usage participe à la caractérisation de personnes ou de membres d’un groupe comme populistes et à la critique du fait de s’allier avec ce type de personnes. Dans cet exemple, Albert Rivera présente les populistes et les nationalistes comme « une bande », ce qui entraine une connotation fort négative. Cependant, l’objectif principal de ce tweet est de délégitimiser le leader du Parti Socialiste (PSOE) et son plan de coalition avec « les populistes » (Unidas Podemos/UP) et « les nationalistes » (principalement les partis indépendantistes en Catalogne).  Cet exemple illustre comment populis* peut être utilisé pour désigner des personnes concrètes. Même si les acteur.rice.s politiques qualifié.e.s de populistes ne sont pas nommé.e.s, on comprend par inférence qu’il s’agit du parti UP.


Considérons un autre exemple d’usage du populis* dans un tweet publié sur le compte du leader du Parti Populaire (PP), Pablo Casado Blanco.



Dans l’image qui accompagne le tweet, on voit Pablo Casado Blanco et Ursula von der Leyen, membre du PPE (Parti Populaire Européen) et Présidente de la Commission européenne en 2019. Le tweet dit :


« Félicitations à @ vonderleyen, membre de notre famille politique qui a reçu le soutien de Parlement européen en tant que président du @EU_Commision. Ensemble, nous affronterons le nationalisme et le populisme qui menacent l’UE et nous défendrons la démocratie et la liberté dans le monde entier. » (@pablocasado_, 27/11/2019)


Plusieurs éléments linguistiques indiquent la connotation négative du substantif singulier populisme : la coordination avec « le nationalisme », la présentation du populisme comme une menace déjà existante qui pèse sur les valeurs fondamentales de l’Union européenne  « la démocratie » et « la liberté ». Ici le substantif ne sert pas à désigner un acteur ou un type d’acteur, mais plutôt un phénomène ou une tendance politique. Cet exemple montre l’usage du terme populisme avec une fonction d’auto-promotion et d’autolégitimation. En effet, dans le contexte où le populisme est présenté comme une menace pour les valeurs européennes, le leader du parti PP, regroupé dans l’ensemble des partis de PPE, se positionne comme une solution contre cette menace en utilisant la première personne du pluriel « haremos frente a » (nous affronterons) et « defenderemos » (nous défendrons).

Ainsi, notre étude confirme que la signification de populis* peut être vague et variable. Cependant, contrairement aux analyses précédentes, l’étude montre également que (i) populis* n’est pas seulement un buzzword vide de sens et utilisé au hasard ou un marqueur de discours antipopuliste, (ii) populis* peut avoir différentes fonctions dans le discours, (iii) populis* est associé à un ensemble concret de conceptualisations qui varient en fonction de l'auteur et de la cible de l'usage, et en fonction de la stratégie politique et communicationnelle d'un parti politique. Enfin, notre étude suggère qu’une perspective linguistique sur l’étude d’un concept aussi contesté que populisme peut offrir de nouvelles façons de comprendre son rôle dans le débat sociopolitique contemporain.

Travailler sur cet article m’a fait réaliser à quel point l’étude d’un seul mot peut être fascinante.  Populis* est un terme très controversé et il peut avoir de nombreuses significations et interprétations dans différents contextes et à différents moments. En étudiant l'usage de ce mot dans le discours actuel et en l'examinant de manière plus détaillée, en comparant différentes formes linguistiques et leurs fonctions, j’ai pu observer les différences entre l'usage de ce mot dans la communication politique actuelle et ses définitions dans la littérature scientifique. Cette étude a aussi souligné la variété de sens et de fonctions qu'un seul mot peut avoir dans le discours.


[1] Vous pouvez lire l’article accepté par la revue sur le site du dépôt institutionnel de l’UCLouvain https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal:278751



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