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L’utilisation du terme populis* au sein de l’Assemblée nationale française en 2019

Dernière mise à jour : 5 mai 2023


Source: Site web de l'Assemblée Nationale (France)


Invoqué dans les médias, rétorqué entre femmes et hommes politiques, de quoi parle-t-on lorsqu’on invoque le populisme ? Le projet TrUMPo apporte un éclairage sur cette notion, grâce à l’analyse de l’utilisation des mots populisme, populismes, populiste, populistes (ce sont les termes que regroupe « populis* ») à l’Assemblée nationale en France, pendant l’année 2019. Quand, comment et pourquoi les parlementaires et membres du gouvernement français utilisent le terme populis* au sein de leur chambre basse ? Pour répondre à ces questions, nous passerons en revue les pics d’utilisation de populis* ainsi que les partis qui y ont recourt, le contexte parlementaire des occurrences, puis enfin les sens donnés au terme et les champs conceptuels qui y sont associés. Il faut préciser avant de lire ces résultats, qu’il s’agit d’une analyse brute : elle ne prend pas en compte les temps de parole ni la longueur des interventions.


Les pics d’utilisation :

Au cours de l’année 2019, le terme populis* a été utilisé à 161 reprises au sein de l’Assemblée nationale.



Dans un souci de lecture, seules les dates pour lesquelles le nombre d’occurrence est supérieur ou égal à 3 est reporté dans ce graphique. Deux pics principaux sont observables : en avril avec 27 occurrences et en octobre avec 30 occurrences. Le pic d’avril est notamment lié à l’utilisation de populis* sur deux journées. La première est celle du 3 avril avec 8 occurrences, dont la moitié proviennent d’une session plénière de l’assemblée, dans un contexte des gilets jaunes et du grand débat national. En voici un extrait :

« Mes chers collègues, réveillons-nous ! Si nous voulons combattre les POPULISMES, il faut d’abord que le peuple se sente réellement représenté. Ayez donc le courage d’instaurer la proportionnelle intégrale aux législatives, avec un seuil minimal de 5 % », Luc Carvounas (député PS)[1].

La deuxième journée d’avril avec un pic est celle du jeudi 11 avec 13 occurrences qui viennent de la même séance. Il s’agit d’un débat sur l’adoption de la loi PACTE (visant à repenser la place des entreprises en France), dont un volet porte sur la privatisation des aéroports de Paris. Alors que certains députés voulaient soumettre cette décision au référendum d’initiative partagée, la majorité a lancé le débat en s’y opposant, invoquant le populisme :

« Je trouve malencontreuse toute initiative qui viendrait faire le jeu des POPULISMES et alimenter la contestation de la démocratie parlementaire. », Bruno Le Maire (ministre de l’économie LREM).

En octobre 2019, le cœur du pic est lié à une audition en commission des affaires européennes sur la réforme européenne du droit d’asile (8 occurrences le 21 octobre). Le mot est lancé (première utilisation) par Ludovic Mendes, rapporteur :

« Nous sommes face au défi de l’adoption de solutions urgentes pour organiser les flux migratoires, tout en développant une stratégie à long terme. Avec la montée des POPULISMES et des nationalismes, les États membres sont tétanisés et certains gouvernements, pour rassurer leur opinion publique, ne font qu’adopter des mesures nationales de repli sur soi. », Ludovic Mendes (député LREM).

À l’inverse, l’on observe un nombre d’utilisation de populis* particulièrement bas en juillet, septembre et décembre (trois mois au cours desquels ces termes ne furent employés qu’à 5 reprises), et puis en aout, où il n’y a aucune occurrence. Ce dernier résultat peut s’expliquer par les vacances parlementaires.


Qui parle de populis* ?

Les 161 emplois du terme populis* proviennent de 92 personnes différentes. La moitié (49) de ces locuteurs ne l’ont utilisé qu’une fois, 29 personnes l’ont utilisé 2 fois, 14 l’ont utilisé 3 fois ou plus.

Le top trois des utilisateurs, avec 6 utilisations chacun, compte Bruno Le Maire (Ministre de l’économie et des finances LREM), Dominique Potier (député PS) et Nicole Trisse (députée LREM). Dans le cas de Bruno Le Maire et Dominique Potier, leurs utilisations sont majoritairement issues de leurs interventions du 11 avril évoquées ci-dessus (avec 5/6 pour Le Maire et 4/6 pour Potier), là où Nicole Trisse l’a utilisé à 4 dates différentes.

Nombre d’occurrences par parti :

Pour réaliser cette analyse nous nous sommes basés sur les partis où les locuteurs sont effectivement encartés. Certains ministres du gouvernement d’Edouard Philippe (LREM) étaient sans étiquette, mais nous avons fait le choix de comptabiliser leur parole avec celle de LREM (en raison de leur adhésion au gouvernement d’Edouard Phillipe). L’analyse par parti politique dévoile que près de la moitié des occurrences proviennent des membres de LREM, avec 78/161, loin devant les autres partis car le PS, deuxième du classement, n’est qu’à 19 occurrences. Cela pourrait s’expliquer par la majorité importante de LREM au sein de l’Assemblée nationale en 2019 (308 députés sur 577) et les avantages associés en termes de temps de parole.

En dehors de cette observation, on peut noter que l’emploi par parti du terme populis* ne suit pas la logique de distribution des sièges de l’Assemblée. Si LREM est le premier utilisateur de populis* et majoritaire de l’assemblée, le PS est deuxième plus grand utilisateur mais quatrième au parlement avec ses 30 députés. Il y a d’autres grands écarts : LFI est quatrième utilisateur mais sixième parti (17 députés). L’UDI est aussi quatrième utilisateur alors que septième parti le plus présent à l’assemblée, et le MoDEM est sixième utilisateur mais troisième parti en nombre de parlementaires (42 députés). Ajoutons que le FN est absent des locuteurs (parti présent au second tour des présidentielles de 2002 et 2017, et disposant de 8 députés en 2019). Sur la base de ces données brutes, il semblerait que les partis de gauche soient légèrement plus représentés (en termes de locuteurs) alors qu’ils détiennent moins de sièges à l’assemblée.


Contexte parlementaire des occurrences :

L’utilisation du terme populis* se retrouve dans plus d’un tiers des cas dans le cadre des communications avec le gouvernement : projets de loi (38) et questions au gouvernement (24), soit au total 62/161. Il s’agit presque toujours (143/161) d’interventions orales préparées.

La cible de populis* :

La majorité (86/161) des utilisations du terme populis* est autoréférentielle. En dehors de celles-ci, 31 utilisations désignent une action/évènement, 30 une personne ou un groupe et 15 une entité collective.

Exemple d’utilisation auto-référentielle : « Il faut certes se méfier du POPULISME, mais il faut aussi se garder de considérer que tout ce qui est demandé par les citoyens est forcément mauvais. » Didier Guillaume (Ministre de l’agriculture et de l’alimentation, sans étiquette).

Exemple désignant une action : « Un ministre a osé dire qu’utiliser la loi était une dérive POPULISTE. » Alexis Corbière (député LFI).

Exemple désignant une personne : « Le groupe Socialistes et apparentés a toujours été opposé à la suppression de la taxe d'habitation. C'était une promesse du candidat Macron POPULISTE et populaire. » Christine Pires Beaune (députée PS).

Exemple désignant une entité collective : « Faut-il dès lors rebâtir nos frontières et déconstruire l’édifice, comme nous y invitent les mouvements dits POPULISTES ? À l’inverse, faut-il, au forceps, imposer plus d’Europe, alors même que la défiance de nos concitoyens n’a jamais été aussi forte ? » Antoine Herth (député Agir).

Le sens donné à populis* :

La quasi-totalité des utilisations revêt un caractère négatif (153/161), les cas à connotation uniquement positive sont absents. Dans les 8 cas restants la tonalité est neutre, ironique, ou non connue.

Exemple d’utilisation neutre : « J’ai pensé au mot de Montaigne : « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage. » Le terme « POPULISME » donne ainsi lieu à certains abus. Engager un débat citoyen sur un bien commun de la nation, ce n’est pas se livrer au populisme, c’est faire application de notre droit, notamment de notre Constitution » Dominique Potier (député PS).

Exemple d’utilisation négatif-ironique : « Comme je suis fier que vous m’insultiez en me traitant de POPULISTE ! » Alexis Corbière (député LFI).

Exemple d’utilisation positif-ironique : « Vous parlez de justice populiste. Je ne comprends pas ce que vous entendez par ce terme, mais je vous fais entièrement confiance sur ce point, car vous êtes un grand spécialiste de POPULISME. » Didier Paris (député LREM).

Exemple d’utilisation négative : « Je trouve malencontreuse toute initiative qui viendrait faire le jeu des POPULISMES et alimenter la contestation de la démocratie parlementaire. » Bruno Le Maire (ministre de l’économie LREM).

La majorité des utilisations ont également un sens évident, ne questionnant ni ne définissant le sens du terme populis*. Cependant, dans six cas, l’utilisation du terme est remise en question : il s’agit dans quatre cas de Dominique Potier (PS) lors des échanges du 11 avril :

« Le terme « POPULISME » a été employé abusivement et déformé. Il aurait été́ préférable d’en user avec modération et d’avoir un état d’esprit plus ouvert au cours du dialogue que nous avons entretenu sur le projet de loi PACTE »,Dominique Potier (député PS).

Les champs conceptuels dominants associés au populisme sont le nationalisme (59/161), la démagogie (36/161), et l’extrémisme (23/161), tout en sachant qu’ils se combinent avec d’autres dans certaines occurrences (un même usage de populis* peut renvoyer à la fois au nationalisme et à l’extrémisme, par exemple). Il y a 19 cas pour lesquelles nous ne sommes pas parvenus à associer de champ conceptuel. Le tableau ci-dessous offre des illustrations de notre codage :

L’on remarque que les champs autocratiques (16/161) et anti-élite (13/161) sont moins représentés. De même, la catégorie « complotiste/mensonger » (8/161) est peu présente, tout comme « fondé sur le peuple » (4/161), « tradition » (4/161) et « populaire » (1/161).


Fonction associée à l’utilisation de populis* :


En ce qui concerne la visée de l’utilisation du terme, le fait d’émettre une préoccupation est largement la première fonction que revêt populis* avec 76 occurrences sur 161, suivi de la critique d’un acte isolé (27), la description de l’objet du discours (21), et la critique d’une personne ou d’un groupe (20).

Exemple d’utilisation pour exprimer une préoccupation : « Enfin, je veux vous dire que, dans un contexte de montée de la xénophobie et des POPULISMES qui menacent les valeurs européennes communes, l’Union doit pleinement contribuer à déconstruire les peurs et à apaiser. » Stella Dupont (députée LREM).

Exemple de critique d’un acte isolé : « Votre suppression POPULISTE de la taxe d’habitation entraîne des transferts de dotations en cascade, constituant une invraisemblable usine à gaz, dont les principaux perdants seront les communes et, surtout, les départements. » Jean-Pierre Vigier (député LR).

Exemple d’une description : « Dans un contexte politique troublé, où le POPULISME cherche à s’enraciner et à gangrener les démocraties modernes, notre pays s’efforce d’avancer sur une voie étroite. » Philippe Chassaing (député LREM).

Exemple d’utilisation pour une légitimation par opposition : « Chacun son camp : vous choisissez celui du POPULISME ; nous, celui de la responsabilité́ ! » Bruno Le Maire (ministre de l’économie LREM).

Exemple de dénégation : « Faire du sujet du temps long un débat citoyen n’est pas du POPULISME, mais un exercice démocratique. » Dominique Potier (député PS).


Pour conclure :

Ces analyses de l’utilisation du terme populis* nous offrent une vision générale de son usage au sein de l’Assemblée nationale française en 2019. On peut en retenir que LREM est le principal utilisateur de populis*, et que relativement au nombre de sièges qu’ils y occupent, les partis de gauche emploient ces termes davantage que les autres partis au sein de l’Assemblée. Ce terme se retrouve principalement dans le cadre d’une communication entre le gouvernement et le parlement, et apparait presque toujours dans une intervention préalablement préparée. Populis* est utilisé majoritairement de façon autoréférentielle, son sens est évident pour les locuteurs, et n’est jamais positif. Enfin, les champs conceptuels qui y sont le plus associés sont le nationalisme et la démagogie, tandis que le côté anti-élite est moins présent. L’aspect populaire ou traditionnel est quasi absent des usages de populis*. L’emploi du mot reflète davantage une préoccupation, des critiques, plutôt qu’une légitimation ou une dénégation. Mais bien sûr, comme ces résultats proviennent d’analyses brutes, il convient de rappeler qu’elles ne prennent pas en compte les temps et prises de parole de chaque personne ou groupe.


Remerciements à Ezechiel Lerat sur lequel repose une partie de ce travail

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[1] Les noms des partis utilisés sont ceux de 2019. Par ailleurs, nous soulignerons l’occurrence populis* dans toutes les citations pour la rendre plus évidente, cela n’est pas le fait des locuteurs.











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